Récit « Une crue infernale » – Roumanie

Posted by on Août 27, 2012 in Spéléo | No Comments

 

Pestera Caput
Monts Bihor – Romania

– Juillet 2002 –

 

Pour nous tous, la spéléologie ce sont les bons moments passés entre amis dans une belle classique, le souvenir des grandes premières les trop rares fois où "ça veut bien passer", les désobstructions laborieuses pour trouver la suite, les quelques galères à raconter le soir devant une bière…
C'est malheureusement aussi parfois de mauvais souvenirs, des moments "sur le fil du rasoir" pour lesquels on se rend compte, avec le recul, qu'il s'en est fallu de peu que cela finisse vraiment très mal.
Comme toujours, un accident c'est un enchaînement de petites erreurs qui, mises bout à bout, mènent au drame.
L'histoire qui suit ne déroge pas à la règle, et ce n'est que grâce à une chance insolente que tout s'est finalement bien terminé.

Par Philippe BENCE & Fabien DARNE
(
Publié dans le numéron 42 de Spéléo Magazine)

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> Philippe – Le samedi 27 juillet 2002, je retrouve Fabien à l'aéroport de Munich. Nous sommes mandatés par la fédération via le Spéléo Secours Français (SSF) pour encadrer un stage technique de spéléo secours dans le cadre des échanges bi-gouvernementaux avec la Roumanie.
Nous partons dans la zone de Padis sur les Monts Bihor à 100 kilomètres au sud-ouest de Cluj Napoca et au bout d'une piste défoncée de 40 kilomètres.
En parallèle à ce stage, doivent se dérouler les formations TSA 1 (découverte) et TSA 2 (perfectionnement) de l'École Roumaine de Spéléologie qui rassemblent une bonne quarantaine de spéléologues.

> Fabien – Le stage commence dès le lundi et se déroule dans une cavité à proximité immédiate du camp : Pestera Caput, une magnifique perte heureusement à sec ! Une entrée horizontale mène après un puits de dix mètres à une superbe verticale de 25 mètres en toboggan, sorte d'énorme marmite perforée. À sa base, une galerie sablonneuse se termine rapidement sur un siphon. Au sommet du P10 partent également deux cheminées d'une dizaine de mètres qui débouchent sur le plateau.

Il pleut depuis plusieurs jours…
Après les ateliers habituels installés dans l'entrée, nous décidons de faire une petite évacuation depuis la base du P25. Je fais remarquer à Philippe les énormes troncs coincés dans les plafonds, à plus de 15 m de haut. Il ne doit pas faire bon rester là en période de crue !

> Philippe – Mardi, nous retournons à Caput. Il pleut depuis plusieurs jours, mais cela ne semble pas affecter le niveau des rivières ni le moral des spéléos roumains présents sur les stages !

Mercredi changement de cavité ! Alors que les jours précédents nous finissions à plus de 18 heures, l'évacuation dans Pestera Neagra s'est terminée à 14 heures 30. Une demi-heure plus tard, l'équipe du jour se retrouve à la buvette de Padis pour le débriefing. Le ciel est menaçant… Vers 15 heures un orage très violent s'abat sur la montagne. Après une demi-heure passée sous l'auvent de la buvette dans l'attente d'une accalmie, nous décidons de rentrer au camp de Caput. Sitôt arrivés, Vadim se jette sur nous affolé. Trois équipes des stages TSA1 et 2 sont bloquées dans Pestera Caput.

Il suffit de tourner la tête pour voir que le vallon amenant à la perte, normalement à sec est maintenant un torrent furieux charriant boue et troncs d'arbres. Moins d'une heure d'orage sur le bassin d'alimentation aura suffit à entraîner une crue terrible. La perte absorbe maintenant plusieurs m3 par seconde (entre 6 et 10 estimés…). Le spectacle de toute cette eau est terrifiant et nous fait craindre le pire pour les spéléos bloqués dans la cavité. Fabien et moi montons rapidement aux 2 puits d'accès au dessus de la perte, après avoir traversé par deux fois le cours d'eau furieux, se tenant l'un l'autre par le bras pour ne pas être emportés.

> Fabien – Les cordes sont en place et nous pouvons entrer en contact avec une des équipes qui commence à remonter. On entend d'en haut le bruit assourdissant de la rivière… Didier Cailhol, cadre français invité sur les stages TSA, remonte du fond

et nous raconte ce qui leur est arrivé : les signes annonciateurs, la remontée en urgence des deux équipes dans la niche à mi-puits, la sortie de quelques-uns puis la vague de crue de 1,5 m et surtout, Simina bloquée sous la cascade…
Eux-mêmes ont eu très peur, Didier a dû sortir une stagiaire prise par la première vague en haut du P 25. Avec un tel débit, nous n'avons plus d'espoir pour Simina bloquée sur la corde mais il reste du monde plus bas et il faut faire vite car le puits peut se noyer entièrement. Le stage de formation se transforme en opération de secours réelle…

Nous nous organisons : Didier s'improvise Conseiller Technique, un PC sommaire est mis en place, des équipes sont constituées, le matériel est regroupé. Philippe rentre sous terre à la suite de Calin Voda, directeur de l'École Spéléo Roumaine. De mon côté, je forme une petite équipe avec matériel et perforatrice pour les rejoindre rapidement.

> Philippe – Le spectacle hallucinant de toute cette eau en furie nous laisse peu d'espoir pour les spéléos bloqués sous le P25, surtout pour Simina, coincée sur la corde. Calin commence à installer une main courante sur un équipement aérien en place pour rejoindre le P25. L'ambiance sous terre est dantesque, le bruit est assourdissant, fracassant, où que l'on soit, on est en permanence fouetté par les embruns des cascades. Arrivés à l'aplomb du P25, nous entendons les hurlements déchirants de Simina malgré la cascade. Elle est vivante ! Elle a vu nos lumières et ses cris terribles redoublent d'intensité. Il faut faire vite pour la sortir de là, pas trop vite pour ne pas faire n'importe quoi. Il faut surtout garder la tête froide…

Calin descend à son niveau, il est trop loin et ne peut la rejoindre. Il remonte équiper plus loin sur la main courante et redescend. Il nous demande par signes d'éteindre nos lumières… Nous ne comprenons pas pourquoi, mais le faisons puisqu'il le demande. De longues minutes plus tard, je le vois remonter avec Simina inanimée en bout de longe. Il fait 2 mètres à peine et s'arrête. Il fait maintenant de grands gestes que j'ai du mal à comprendre tout de suite. Je m'aperçois enfin que Calin est complètement bloqué par le matériel de Simina emmêlé avec la corde de dessous, il ne peut rien faire pour avancer. Je le rejoint en installant une seconde corde à proximité et coupe tout ce qui gêne. Nous pouvons alors remonter vers la main courante. Simina ne va pas bien du tout, elle n'est plus qu'un pantin désarticulé, les yeux révulsés et la bouche pleine de bave. Une vision difficilement supportable. Il faut maintenant faire très vite pour qu'elle garde des chances de s'en sortir vivante.

> Fabien – Descendu avec Tudor et Vadim, peu après Calin et Philippe, je découvre un spectacle incroyable. L'équipement normal de progression est sous l'eau et le P25 est noyé sur la moitié de sa hauteur ! Les regards interrogateurs que nous nous lançons en disent long sur nos espoirs de retrouver tout le monde vivant… Nous apercevons des lumières à travers les embruns, l'équipe est dans la niche à mi-puits que l'eau n'a pas encore atteinte. Calin est parti dans la cascade. Nous le distinguons vaguement, bataillant dans les embruns. Nous ne savons pas trop quoi faire, d'autant plus qu'il nous a demandé d'éteindre nos lumières… Finalement, Philippe le rejoint et disparaît à son tour. Au bout d'une éternité, je les vois de nouveau, aux prises avec un corps sans vie. Tudor me presse de questions, je lui fais comprendre que ce que nous craignions semble être arrivé… tout en lui demandant de ne rien dire aux autres pour l'instant.

> Philippe – Je fais passer le corps inanimé de Simina sur la main courante installée plein vide jusqu'au balancier mis en place par Fabien afin de la remonter jusqu'a la vire. Calin est moralement et physiquement épuisé, il décide de remonter avec l'équipe qui évacue Simina jusqu'à la sortie. Je récupère corde, pochette à spits et amarrages et pars poursuivre l'équipement afin de rejoindre l'équipe qui est toujours bloquée plus bas, il faut aller vite, le niveau monte…

> Fabien – Lorsque Simina arrive à ma hauteur, je n'arrive pas à croire qu'elle est encore vivante. Elle a de temps en temps quelques soubresauts où ses mains agrippent notre matériel compliquant encore les manœuvres. C'est terrible, elle ne peut rester droite et c'est tête en bas que nous la remontons tant bien que mal sur cet équipement aérien. L'évacuation me semble interminable, tout le monde crie et il est bien difficile de faire entendre quelques consignes précises. J'ai vraiment l'impression que Simina va nous claquer entre les doigts… Une fois sortie, nous l'installons rapidement dans la civière pour la ramener au camp et l'emmener de toute urgence vers l'hôpital le plus proche (1 h 30 de route !). Nos préoccupations se tournent maintenant vers les spéléos coincés dans le P25. Je donne quelques consignes rapides en surface, demande du renfort et du matériel au PC par radio et redescend. Nous installons une tyrolienne au-dessus de l'eau pour éviter de faire passer tout le monde sur l'équipement hors crue, trop technique pour des débutants. Alors que je demande à Dani d'aller épauler Philippe, les premières lumières des rescapés apparaissent.

> Philippe – Pendant que Simina est évacuée, je continue à équiper le plus " hors crue " possible. Arrivé en bout de l'équipement existant, je vois de la lumière plus bas, derrière la cascade !
J'installe difficilement deux " fractios " pendulaires en me coinçant avec les pieds pour spiter car bien sûr mon crochet goutte d'eau est dans mon kit resté dehors ! la position est délicate, une jambe coinçée en torsion dans un creux du rocher et le corps tendu pour taper les spits le plus loin possible. J'espère que l'équipement suffira, je n'ai plus d'amarrages…

Je descends enfin jusqu'à leur niveau. Ils sont là, dans la niche à mi-puits, à quelques mètres à peine de l'eau qui monte.
Je leur lance le bout de corde pour les rejoindre en pendulant. Tout est ok pour eux, ils ont froid mais ils sont capables de remonter par leurs propres moyens. Pendant que je me réchauffe tant bien que mal avec une couverture de surve, ils commencent la remontée jusqu'en haut du P25 où ils seront pris en charge et évacués jusqu'à la sortie. Je remonte le puits derrière eux. Tout est maintenant fini, l'évacuation des derniers suit son cours. Arrivé en haut du P 25, je prends quelques instants pour contempler le spectacle fascinant de toute cette eau en furie plongeant dans ce puits aux formes parfaites.
Je me dis que, dans d'autres conditions, j'aurai bien pris un appareil photo pour saisir ce paysage terrible…

Nous sommes passés très près d'une catastrophe qui aurait pu coûter la vie à beaucoup de monde. Le même jour, dans d'autres cavités, d'autres équipes ont eu la chance d'être sorties des zones dangereuses avant l'arrivée de la crue. Par un hasard incroyable, Simina était sur le seul fractionnement de l'équipement qui n'était pas entièrement sous l'eau. Elle était juste à quelques centimètres de la cascade, dans les embruns et le souffle, elle recevait en permanence des paquets d'eau froide. Autre chance, grâce à la formation reçue pendant le stage, elle savait qu'elle devait se forcer à bouger, à se parler à haute voix pour maintenir sa conscience en alerte, à tenir la corde au-dessus d'elle pour ne pas que les troncs plongeant dans le puits ne l'entraînent… elle faisait également très attention de ne pas perdre ses bottes pour pouvoir rester en appui sur la paroi. Simina est restée plus de 3 heures dans cet enfer ! A sa sortie, auscultée par les deux médecins présents sur le camp, il a été impossible de lui trouver un pouls… Mise dans un duvet et amenée totalement inconsciente à l'hôpital le plus proche, elle était de retour au camp le lendemain soir en pleine forme, incroyable !

Le coté positif de cette mésaventure est la prise de conscience par les spéléos roumains de l'importance de s'organiser sur le plan des secours. Les dernières nouvelles de Simina sont bonnes, elle est à Bucarest et après un moment difficile, elle a refait de belles sorties spéléologiques.
C'était sa première expérience sous terre…

 

Stage secours Suncuius 2005 – Roumanie

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